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Où construire le camp ?

Le général Ménard avait décidé, fin février, de construire un camp d'accueil "près d'Oloron". Il reste à déterminer le lieu.

Camp de Gurs | Où construire le camp ?

Pourquoi en Béarn ? Pourquoi près d'Oloron ?

Mais pourquoi donc le Béarn ? Ne s'agit-il pas, du moins à l'origine, d'héberger des Basques espagnols ? La région de Bayonne ou, à défaut, celles de Mauléon ou de Saint-Palais, ne sont-elles pas plus indiquées ?

Des considérations d'ordre politique et électoral expliquent les raisons d'un tel choix.

En 1939, les députés des trois circonscrip­tions basques sont des hommes de droite. Parmi eux, le leader incon­testé est Jean Ybarnegaray, député de Mauléon. Forte personna­lité, il est le seul candidat du département à avoir été élu dès le pre­mier tour des législatives de 1936. Orateur brillant et farouche par­tisan des nationalistes pendant la guerre civile, il déploie une grande activité au cours des derniers jours de février.

Il rencontre Léon Bérard, sénateur et président du Conseil général des Basses-Pyrénées, qui joue un rôle important dans les affaires franco-espagnoles depuis que Daladier l'a officieusement chargé d'entreprendre des négociations en vue de faciliter la reconnaissance par la France du gouvernement du géné­ral Franco. Ybarnegaray obtient également une entrevue avec le préfet Surchamp, lui explique que la cohabitation de Basques espagnols, "rouges" et turbulents, avec les Basques français, traditionnellement hostiles à la gauche, serait une source de désordre dans une région jusque là paisible.

Incontestablement les manœuvres d'Ybarnegaray sont couronnées de succès, puisqu'il est acquis très tôt, dès le début du mois de mars, que le camp ne sera pas construit au Pays Basque, mais en Béarn.

Camp de Gurs | Où construire le camp ?

Un centre d'accueil en Béarn : Ogeu ? Gurs ?

Le 7 mars, les journaux du département annoncent en première page la redoutable nouvelle : un camp de réfu­giés espagnols sera édifié près d'Oloron, à Ogeu-les-Bains.

En Béarn, où la presse s'était déchaînée pendant tout le mois de février contre ces "repris de justice, assassins et bourreaux" (titre d'un article du Patriote des Pyrénées, le 11 février), c'est la consternation.

Le choix d'Ogeu , petite bourgade béarnaise réputée pour son eau minérale, semblait justifié par sa situation géographique, à une dizaine de kilomètres au sud-est de la sous-préfecture Oloron et à une vingtaine de kilomètres de Pau. La station thermale est bien desservie par le rail et par la route. De plus, elle appartient à la circonscription électorale d'Oloron, celle-là même qui a envoyé au parlement le radical-socialiste Jean Mendiondou, l'un des deux seuls élus Front populaire dans le département. Et puis, Ogeu appartient administrativement à l'arrondissement d'Oloron, limitrophe de la Soule, province bas­que la plus orientale.

La nouvelle provoque aussitôt une véritable levée de boucliers. Seul le député-maire d'Oloron, Jean Mendiondou, écrit dans Le Patriote, le 11 mars, que l'existence d'un camp à Ogeu est non seulement "justifiée pour des raisons humanitaires", mais aussi "apportera la prospérité à la région" en donnant du travail à l'artisanat local et en stimulant les productions agricoles. Cette opinion est unique au milieu du concert des protestations. Toutes les autres démontrent que le village ne peut en aucun cas supporter l'installation des réfugiés sur son territoire.

Le docteur Fauchay, conseiller général du can­ton, explique que les 500 habitants du village ont déjà du mal à se ravitailler en… eau, et qu'il serait impossible de satisfaire une popu­lation trente fois supérieure. Le chanoine Biers, maire d'Ogeu, déclare que les terrains de sa commune sont des "fougeraies qui ser­vent de lieu de pacage aux troupeaux. Leur enlever serait léser les paysans du village".

Le général Ménard et le préfet des Basses-Pyrénées furent-ils convaincus par ces arguments ? Toujours est-il que, le 15 mars, après avoir reconnu, la veille, le site en quelques heures, ils annoncent que le camp ne sera pas installé à Ogeu, "pour des rai­sons techniques et sanitaires", mais sur la lande de Gurs. Le terrain choisi présenterait l'avantage d'avoir "déjà été utilisé pour des manœuvres militaires".

Camp de Gurs | Où construire le camp ?Premières réactions autour de Gurs

"Un camp volant. Ce n'est plus à Ogeu (arrondissement d'Oloron), mais à Gurs (arrondissement d'Orthez), que serait créé le camp de concentration pour miliciens espagnols", titre Le Patriote du 16 mars.

La nouvelle provoque évidemment un vif soulagement chez les uns et une nouvelle tempête de protestations chez les autres.

Jean-Louis Tixier-Vignancour, le jeune député d'Orthez, est scandalisé que sa circons­cription ait été choisie pour "un tel cadeau" ; il déclare avec éloquence que ces réfugiés constituent "toute une armée non seulement de l'anarchie, mais du crime international". Il se console néanmoins en remarquant que, si le camp est construit sur "son territoire élec­toral", il dépendra administrativement de la sous-préfecture d'Oloron, et non de celle d'Orthez, et économiquement de la vallée du Gave d'Oloron. La route est en effet directe entre Gurs et la ville de Mendiondou ; elle est longue et sinueuse entre Gurs et Orthez.

Dans la vallée, l'émotion est considérable. Au Patriote, un "groupe de Béarnais" fait publier le 19 mars un violent article dans lequel on peut lire :

"La nouvelle a causé dans toute la plaine de Navarrenx une véritable consternation. L'alarme est d'autant plus vive que les derniers exploits des massacreurs espagnols à Argelès-sur-Mer et à Prats-de-Mollo viennent de démontrer tout ce qu'on peut redouter d'un tel voisinage".

Le même jour, le Conseil municipal de Navarrenx proteste vivement et vote à l'unanimité une motion dans laquelle est expliqué que "le déversement dans le Gave d'Oloron, à trois kilomètres environ en amont de la prise d'eau de la ville, d'une quantité énorme d'eaux usées et de matières animales, présente incontestablement un dan­ger d'épidémie grave pour la population".

Le 25 mars, le Conseil municipal de Sus, commune située à 5 km de l'entrée nord du camp, renchérit : "le déversement des égouts du camp dans le Lausset risquerait de provoquer les pires épidémies de fièvre typhoïde" et transformerait la rivière en "un égout à ciel ouvert".


Le 26, celui de l'Hôpital-St-Blaise, commune située à 4,5 kilomètres de l'entrée sud du camp, fait part de toute son appréhension, "vu que la commune n'a aucun moyen de défense et ne possède pas d'appareil téléphonique pour alerter la police en cas d'alerte".


Mais il faut bien se rendre à l'évidence : plaintes et récrimina­tions demeurent vaines. "Gurs, on n'y coupera pas !", titre Le Patriote du 23 mars.

 

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