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Les "indésirables" espagnols : mai-septembre 1940

Ils sont les héritiers directs des Gursiens de la première époque, celle des réfugiés républicains du printemps 1939.

Leur internement au camp relève, comme l’année précédente, de la logique de l’internement administratif : ils sont étrangers, sans domicile avéré et "en surnombre dans l’économie française".
Pourtant, leur statut juridique n’est pas le même que celui des femmes "indésirables" internées dans les îlots voisins, puisqu’ils n’appartiennent pas à un état "réputé ennemi". Leur présence au camp, à une époque où les hommes sont systématiquement incorporés dans les CTE, montre plutôt une volonté de neutraliser, voire de punir, des individus qui sont sensés présenter un danger pour la population française.

Camp de Gurs | Les "indésirables" espagnols : mai-septembre 1940 | Gurs (64)

Près d’un millier de nouveaux internés, en mai-juin 1940

Le gouvernement se méfie des républicains espagnols incorporés dans les Compagnies de travailleurs étrangers. Leur comportement est parfois indiscipliné ou jugé tel par l’encadrement français. Certes leur travail dans les arsenaux ou les défenses de la ligne Maginot est salué pour sa qualité, mais les intéressés s’emportent fréquemment contre les mesures tatillonnes qui sont prises à leur encontre : les appels du matin et du soir, la discipline militaire, les sanctions, les interdictions de sortie, etc... On constate même, pendant les premiers mois de l’année 1940, que certaines CTE sont frappées par des désertions de plus en plus fréquentes. Cela est inadmissible. Lorsque les "fortes têtes" sont rattrapées par la police, elles sont sévèrement punies et renvoyées dans les camps d’internement.
On voit ainsi arriver à Gurs, pendant les mois de mai et de juin 1940, plusieurs centaines d'Espagnols, un millier environ. Presque tous avaient été auparavant incorporés dans des compagnies de travailleurs prestataires ou placés dans les entreprises de la région. Le 22 mai, 55 travailleurs sont expulsés de diverses CTE des Basses-Pyrénées; le 18 juin, 100 anciens réfugiés, placés aux usines Bréguet d'Anglet, près de Bayonne, sont débauchés; le 22 juin, la 114ème CTE de Captieux (Gironde) est dissoute et la plupart des prestataires transférés à Gurs; le 29 juin, 213 Espagnols provenant de plusieurs CTE sont mis à pied et réinternés. Tous sont immédiatement conduits à l'îlot A. Certains n’y restent que quelques jours, avant d’être à nouveau incorporés dans un CTE, mais d’autres sont finalement internés dans les îlots.
En juillet, ce type d'arrivée à Gurs disparaît complètement. Il est vrai que les premières semaines du régime de Vichy se caractérisent par une grande confusion administrative et que plus aucune entrée n’est alors enregistrée. Mieux, le commandant du camp ouvre largement les portes et laisse partir tous ceux qui en font la demande. Plusieurs centaines d’internés espagnols quittent alors le camp et tentent de se faire employer dans les exploitations agricoles de la région.
Quant aux autres, ils demeurent dans les compagnies de travailleurs étrangers, devenues désormais, en raison de la démilitarisation, groupes de travailleurs étrangers. On les retrouve toujours sur les principaux chantiers du département, par exemple ceux du 526ème GTE, sur le chantier du barrage de Fabrèges (voir photo), ou bien au camp de Gurs même.

Travailleur espagnol du 526ème GTE construisant le barrage de Fabrèges (1939 ou 1940)

Camp de Gurs | Les "indésirables" espagnols : mai-septembre 1940 | Gurs (64)Le 182ème GTE de Gurs

Le 182ème GTE de Gurs est chargé de l'entretien du camp. Il rassemble 250 hommes, exclusivement des Espagnols, et loge à l’îlot A. Il est placé sous l’autorité directe de l’ingénieur des Ponts et Chaussées délégué au camp par l’ingénieur d’arrondissement. Il répare les baraquements, en construit de nouveaux au besoin, entretient la route centrale, creuse et nettoie les fossés de drainage, maintient en état la voie ferrée des tinettes, fauche les hautes herbes, assure les corvées de bois, le ravitaillement en eau et effectue toutes les réparations nécessaires.

Un des travaux du 182ème GTE : l’épandage du contenu des tinettes dans les tranchées creusées au nord-ouest du camp (1940). Photo coll. Gerhard Hoffmann
Un des travaux du 182ème GTE : l’épandage du contenu des tinettes dans les tranchées creusées au nord-ouest du camp (1940). Photo coll. Gerhard Hoffmann

La situation des travailleurs prestataires, comme leurs conditions de vie, est assez austère, bien qu’ils bénéficient d’un régime de semi-liberté. Arthur Koestler note à leur sujet :


"7 août 1940 (…) L'après-midi, en me promenant, je rencontre une colonie d'Espagnols qui travaillent comme bûcherons, gardés par des gendarmes. Ils habitent le camp de Gurs (…), font dix heures de travail par jour et ne sont pas payés(…). Ces bataillons de travailleurs sont des équivalents des équipes d'esclaves. Si l'on tient compte du standard de vie des Romains, les baraquements du Vernet et de Gurs sont pires que les antiques ergastules. Le travail est en partie plus dur que celui décrit par Caton et Varron, la nourriture certainement pire. Le jeûne sexuel est absolu, tandis que les serfs se mariaient ou vivaient avec des femmes"


Cette description et les considérations qu'elle inspire à l'écrivain, qui vient alors d'être libéré du camp du Vernet (Ariège), montrent à tout le moins que l'incorporation dans les groupes de prestataires, dont on peut être révoqué à tout moment, n’a rien perdu de sa rigueur.

Camp de Gurs | Les "indésirables" espagnols : mai-septembre 1940 | Gurs (64)

Les nouveaux "indésirables" espagnols de l’été 1940

Avec l’instauration du régime de Vichy, qui prend véritablement effet, à Gurs, dans le courant du mois d’août, les internements d’Espagnols reprennent pendant quelques semaines. Ils correspondent essentiellement aux mois d’août et de septembre 1940.
Est alors conduite au camp une nouvelle catégorie d'Espagnols, hommes femmes et enfants : les réfugiés arrêtés dans le département des Basses-Pyrénées (constitué désormais par la portion des Landes et des Basses-Pyrénées non occupées). Il s’agit de réfugiés appréhendés par la gendarmerie pour défaut de titres de séjour, ou parfois d’ "indésirables" expulsés de la zone occupée pour diverses raisons de simple police. Les hommes sont internés à l'îlot A, les femmes et les enfants à l'îlot E. Catalogués "suspects" ou "sans ressources", ils ont été arrêtés à la frontière, sur les routes du Béarn ou de la Chalosse, dans les refuges d'Oloron, de Salies-de-Béarn ou de Saint-Christau, ou sur la ligne de démarcation. Près de 2 000 sont ainsi dirigés vers le camp jusqu'au 23 octobre 1940.

Les rapports de police les décrivent (restrictivement) comme : "d’anciens Gursiens incorporés au début de la guerre dans des compagnies de travailleurs étrangers qui, libérés de ces CTE en mai 1940, reviennent sur les lieux où ils ont quelques parents ou quelques connaissances. Ils cherchent à trouver du travail dans la région" (rapport de gendarmerie du 11 juillet 1940).

Ils y rencontrent d'abord la police vichyssoise qui les interne à Gurs. Après quelques semaines de détention, les hommes sont rassemblés dans de nouveaux groupes de travailleurs étrangers. Certaines femmes sont "libérées" et rapatriées, sans qu'il soit possible de préciser si elles en ont fait la demande ou non. La plupart des autres demeurent au camp jusqu'à la fin octobre, où elles sont envoyées à Rivesaltes, spécialisé alors dans "l'hébergement" des réfugiés espagnols ne disposant d'aucun moyen de subsistance.
Début novembre 1940, quelques jours après les arrivées massives des expulsés badois et des immigrés juifs, tous les ressortissants espagnols ou presque ont quitté le camp. Il ne reste plus alors que les 600 prestataires, répartis en deux groupes de travailleurs étrangers. Tous les autres ont été, soit incorporés dans les groupes de prestataires, soit transférés.

Le temps des Espagnols est désormais révolu. Certes, d'autres seront encore internés, mais ils ne constitueront plus qu'une minorité et ne joueront plus qu'un rôle de second plan dans le camp.

 

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